Georges PINAULT et Jon MIRANDE
La période de l'après-guerre, parfois décrite comme une "traversée du désert" par la mouvance bretonne jusqu'en 1968, voit alors la traduction par G. Pennaod de certains textes de Jon Mirande, poète basque, né à Paris en 1925 (mort en 1972), travaillant au ministère de la Guerre et partageant les mêmes idées dites « extrêmes » ("fascistes", disent clairement les Basques du sud, comme du nord qui le considèrent cependant comme un grand poète et prosateur de langue basque, y compris dans les manuels scolaires récents : « faxista eta anti-semita, ez kristau, ez sozialista, tabu guztiak, baita sexuala ere, hautsi nahi zituena, garaiko euskal munduan tokirik aurkitu ezinik ibili zen. – Euskal Literaturaren Antologia, 1998, p. 94...).
On ne peut douter de leur influence mutuelle.
Un même numéro de la revue AL LIAMM (1966, n° 116) contient sa traduction d'une conférence faite en 1963 en Biscaye (publiée par Euskera 8-9, 1963-1964), qui présente Mirande en conclusion comme "l'un des plus importants des lettres basques de ces dernières années".
Dans le texte breton, intitulé "Ur barzh euskarek a-vremañ " ("Un poète basque contemporain"), qui retrace l'itinéraire de Jon Mirande Aiphasorro, on apprenait qu'il pratique, parmi de nombreuses autres, nos langues celtiques, "c'est-à-dire le breton, le gallois et l'irlandais" et qu'il a publié dans plusieurs revues, "dont en breton dans celle appelée AR STOURMER, qu'il a même co-diri-gée avec G. Pennaod".
Vient ensuite une traduction en breton du bref poème Igelak, puis du début de Zergatik, avec le texte basque correspondant, mais en breton seulement, de quelques strophes (première, troisième et dernière strophes) de Lili bat, puis des premiers vers de Neskatxak.
Les relations entre Goulven Pennaod et Jon Mirande se sont nouées dès l'après-guerre par l'intermédiaire de Ker Vreizh, cercle de Bretons de Paris déjà évoqué. Il y a, sans doute, appris le breton auprès de ses amis, d'ailleurs, nous semble-t-il, avant de connaître Pennaod ; mais il a aussi participé à divers camps bretonnants, comme KEAV ("Camp Interceltique des bretonnants"), au tournant des années cinquante et soixante. On trouve d'ailleurs des échos de son passage dans diverses notes de la revue AL LIAMM, dont certains responsables ont bien connu Jon Mirande, semble-t-il, surtout lors de leurs séjours en région parisienne.
P. Le Bihan, le poète Per Diolier, en parle comme d'un compagnon de Kêr-Vreizh dès l'immédiat après-guerre, dans son témoignage récent paru à l'occasion de la disparition d'André Latimier (un des cofondateurs de la revue), où il explique comment, à partit de 1942, ils fréquentaient "Kêr-Vreizh, le foyer breton, rue Sainte-Placide... et les bureaux du P.N.B. tout près, rue de Rennes. Le samedi soir se rassemblaient à Kêr-Vreizh pas mal de gens, jeunes ou plus âgés, pour discuter, emprunter des livres, assister à des conférences...". Et de citer Jon Mirande, parmi des personnalités qui ont eu depuis des parcours très divers (AL LIAMM, n° 310, 1998, p. 400...). Une note précédente nous indique, par ailleurs, que Mirande a participé à une série de conférences organisée par Kêr-Vreiz en 1967, y parlant en breton le 18 novembre du Pays Basque ("son peuple, sa langue, sa littérature") ou, ici en breton, Euskadi : ar bobl, aryezh, al lennegezh (AL LIAMM, n° 124, 1967, p. 454). Une autre note plus ancienne témoigne également de cette intimité :
"Nous avons également appris la mort, en mars, de la mère de notre collègue, abonné de la revue, Jon Mirande. M. Mirande, qui est Basque, a appris le breton, l'écrit, ou le parle très bien".
(traduit par l'auteur, revue ALLIAMM, n°67, 1958, p. 151).
Voici, à partir d'un article paru dans la revue (1986), quelle fut la "la genèse de Ker Vreizh". L'auteur (Y.B. Tillenon, l'un de ses jeunes responsables d'alors, de la même mouvance) la situe bien parmi les émigrés bretons de la capitale qui se réunissaient dans les cafés de Montparnasse et avaient fondé, en 1936, la revue SAV. Tous étaient des nationalistes bretons et c 'est en 193 8 que fut fondé ce "centre des bretonnants et patriotes bretons à Paris". Mais, "émanation du deuxième mouvement breton", elle avait connu des avatars : elle fut fermée par Daladier en 1939 (interdiction du P.N.B.), puis après avoir réouvert sous l'Occupation, fut inquiétée à la Libération (local et bibliothèque fermés). L'essentiel fut préservé, lit-on, "grâce à la prise en main provisoire de l'association par les Bretons Emancipés, filiale du PCF. dont le président d'honneur était Marcel Cachin". Après avoir été administrée par des "modérés" (P. Laurent), elle connut dans les années soixante "un tournant plus nationalitaire" sous la présidence de Kerlann (J. Delalande, ancien responsable d'Ar Falz). Puis, à partir de 1965, commencèrent des cours du "nouveau breton", dit moderne, tel que certains nationalistes rêvaient qu'il fût.
L'auteur ajoute : "Nous pouvions y rencontrer des Européens de toutes origines. Jon Mirande-Aiphasorro (sic) était basque – l'un des deux ou trois premiers poètes et écrivains de son pays – et aussi un des plus brillants connaisseurs du breton moderne, d'autres venaient de Frise, d'Irlande, de Flandres, de Galles". Puis Ker Vreizh connut un déclin avant de renaître dans un esprit "celtique", voire druidique, mais ouvert à "l'avenir de l'Europe". On y enseigne alors un breton dit "moderne" (le "néo-breton"), et le breton ancien et moyen, comme les origines "indo-européennes" (cf. numéros des revues DIASPAD, KER VREIZH... – & cf. AL LIAMM, n° 222, 1984, sur le numéro 4, par exemple) ; mais on y trouve surtout, au travers de ces publications, des références à la nouvelle droite, au néo-paganisme etc., alors que les animateurs de ces entreprises affirment se faire souvent traiter de "fascistes".
G. Pennaod a également évoqué Mirande dans la préface d'un manuel de basque en breton, à paraître. Il fut, en effet, dans ces années d'après-guerre, un des compagnons de celui qui est considéré aujourd'hui comme un des grands poètes basques du siècle, mais cependant présenté comme un Basque (français) aux idées ouvertement fascistes, racistes, antisémites et xénophobes, ce qui semble conforme à ses écrits. On trouve même, dans les pages de sa revue confidentielle AR STOURMER des textes d'un goût détestable, pour ne pas dire plus, comme un poème de Pennaod et Mirande qui narre le viol d'une très jeune noire.
Quant aux relations entre Jon Mirande et la Bretagne, elles font l'objet d'un témoignage personnel en breton de G. Pennaod (février 1998 ). On y voit quelques individualités (Pennaod, Mirande, Jestin), d'autant plus isolées qu'elles sont "anticonformistes" et brillantes, tenter de marier leur basquisme et bretonnisme avec un néo-paganisme inspiré des mythes celtiques et indo-européens, mais surtout, dans un discours délirant, voire ordurier, tenter de concilier basquitude ou bretonnitude et élucubrations idéologiques d'aspect savant ou érudit (philologique), mais de type ouvertement néo-fasciste, antisémite, clairement pro-SS, dans une course singulière à l'originalité par rapport à la "tribu" des bardes en question...
SOURCE :
Goulven Pennaod, Jon Mirande et la Bretagne
Francis Favereau
Bezen Perrot
LAUBURU
Croix basque, à l'origine symbole du soleil ou de la vie, composée de branches courbes, généralement au nombre de quatre.
Le lauburu, qui se retrouve sur les stèles funéraires et sur des bâtisses, est devenu aujourd'hui un symbole identitaire fort du Pays basque.