Francisco Cándido Xavier
Chico Xavier (1910-2002) fut le plus stupéfiant médium du XXe siècle.
Les Brésiliens le tiennent pour le plus grand homme qu'ait connu leur pays. Il ne doit sa renommée ni à la politique, ni à la chanson, ni au football. Chico Xavier (1910-2002) fut le plus stupéfiant médium du XXe siècle. Selon une enquête de popularité faite en 2006 par la revue Epoca, il arrive en tête, avec deux fois plus de suffrages que son suivant immédiat, l'as de la formule 1, Ayrton Senna, tué sur un circuit en 1994.
Chico Xavier vit le jour il y a cent ans. Cet anniversaire suscite une multitude d'hommages. Le film, qui porte son nom et retrace sa vie, du Brésilien Daniel Filho, a décroché le nouveau record du box-office, pour une production nationale. Quatre autres films suivront en 2010.
Enfant métis, trop pauvre pour faire des études, adulte au physique ingrat, accablé d'une cataracte chronique et d'une calvitie précoce qui l'obligent à porter des lunettes noires et une perruque, Chico Xavier est devenu une véritable idole, objet d'un culte populaire.
Grâce, bien sûr, à ses dons mystérieux qui l'ont promu apôtre du spiritisme brésilien. Mais aussi du fait de sa vie exemplaire jamais prise en défaut, celle d'un homme pur, honnête, désintéressé, travailleur inlassable et profondément altruiste. Beaucoup de ses compatriotes voient en lui des symptômes de sainteté.
Chico Xavier naît dans une famille de neuf enfants à Pedro Leopoldo, dans l'Etat du Minas Gerais. Sa mère est blanchisseuse, son père vend des billets de loterie. Tous deux sont analphabètes. A 4 ans, il entend des voix et "reçoit" ses premières apparitions. Il perd sa mère, et vit pendant deux ans avec une méchante "marraine" qui le maltraite, l'affuble d'une camisole et conclut qu'il a "le diable au corps".
Revenu chez son père remarié, il se lève la nuit, parle avec les fantômes, et, au matin, donne des nouvelles de parents défunts à son entourage incrédule. Il se console en priant devant la tombe de sa mère avec qui il a le premier d'innombrables dialogues. A 9 ans, il commence à travailler comme tisserand la nuit tout en continuant le jour à fréquenter l'école primaire.
A 12 ans, il écrit une rédaction parfaite, qui, confie-t-il à son institutrice, lui a été dictée par un "homme d'un autre monde". Cinq ans plus tard, il assiste à sa première expérience spirite en voyant guérir sa soeur atteinte d'un délire obsessionnel. Il s'initie à la doctrine spirite fondée par le Français Allan Kardec (1804-1869), dont il sera pendant soixante-quinze ans l'infatigable propagateur. Une nuit, il découvre la psychographie. Sous la dictée d'un esprit, il écrit dix-sept pages à toute vitesse, sans hésitation ni ratures. Il sait désormais qui il est : un médium, intercesseur entre deux mondes, porte-parole des esprits sur Terre, ambassadeur de l'au-delà.
En 1931, le jeune homme "voit" Emmanuel, son mentor spirituel, l'ami invisible qui le conseillera ou le rappellera à l'ordre toute sa vie. En 1932, il publie son premier ouvrage, Le Parnasse d'outre-tombe, un recueil de 59 poèmes de grande qualité attribués à 14 écrivains morts, qui provoque intérêt et surprise.
L'écriture est désormais sa compagne. De son cerveau en incessante éruption sortiront 451 livres, dont 39 édités après sa mort. Soit, à ce jour, 50 millions d'exemplaires vendus rien qu'au Brésil. Chico Xavier en refuse la paternité. A chacun de ces titres, il associe le nom de l'esprit qui a guidé sa main.
Il reverse l'intégralité des droits d'auteur aux centaines d'associations charitables qu'il parraine. Il vit de son maigre salaire d'employé du ministère de l'agriculture, fidèle aux principes monastiques - pauvreté, obéissance, chasteté - chers à l'Eglise catholique dont il s'est éloigné tout en affirmant rester "chrétien". Il pratique l'autodépréciation, se décrit comme un "moins que rien", un homme "d'une absolue insignifiance", "simple serviteur " de ses bienfaiteurs spirituels. L'inverse d'un visionnaire ou d'un prophète.
A partir des années 1960, il "reçoit" de plus en plus de "lettres" adressées par les esprits à leurs familles. Environ dix mille au total. Son autorité est telle que, en 1979, l'un de ces "messages personnels", versé au dossier d'une affaire criminelle, permet d'innocenter un jeune homme accusé d'avoir tué son meilleur ami. Le défunt avait affirmé au médium que sa mort était accidentelle.
En 1971, Chico Xavier est l'hôte d'une célèbre émission télévisée : le taux d'audience atteint ce soir-là n'a jamais été battu. En 1981, le Brésil se mobilise pour qu'il obtienne le prix Nobel de la paix. En vain. Sous l'égide du médium, le Brésil devient la patrie d'adoption du spiritisme, sa troisième religion : 20 millions de sympathisants, dont 2,3 millions de pratiquants.
Pendant des décennies, experts, médecins, journalistes, le plus souvent sceptiques, défilent à Pedro Leopoldo puis à Uberaba, où il vit depuis 1959, pour l'observer, l'écouter, ou tenter de démasquer son imposture supposée. Tous repartent troublés : perplexes, bouleversés, ou convertis. Tous s'accordent sur l'extrême humanité du personnage.
Chico Xavier vit ses dernières années en reclus. Ses disciples s'arrêtent devant sa porte pour capter les énergies positives. Il aimerait, dit-il à ses amis, rendre l'âme un jour de joie. Voeu exaucé : il meurt, ou plutôt "se désincarne", le 30 juin 2002, alors que le Brésil, en fête, célèbre son titre de champion du monde de football.
Publié le 12 mai 2010
Jean-Pierre Langellier